Une exploration des émotions à travers les cultures du monde

Les émotions sont une des pierres angulaires de nos civilisations humaines. Leur ressenti, leur expression, la façon de les appréhender diffèrent d’une culture à l’autre, parfois même d’une région à l’autre dans un même pays. En France, par exemple, les émotions sont exprimées de manière plus « introvertie » dans le Nord et de manière plus « extravertie » dans le Sud. On peut d’ailleurs remarquer la même différence entre le Nord et le Sud de l’Europe.

Dans leur façon de manifester les émotions, les différentes cultures du monde se divisent en deux grandes catégories : les cultures individualistes et les cultures collectivistes.

Les normes culturelles, les valeurs sociales, les rôles de genre et les contextes sociaux influencent la manière dont les émotions se manifestent. Les attentes sociales ont une grande importance dans la modulation des expressions émotionnelles, avec des différences notables entre les cultures collectivistes et individualistes.

Une culture collectiviste se réfère à un système de valeurs et de croyances qui met l'accent sur l'importance du groupe par rapport à l'individu.

Dans cette culture, l'identité individuelle est souvent définie en fonction de l'appartenance à une entité, telle que la famille, la communauté ou la société. Les personnes sont souvent encouragées à faire passer les besoins et les intérêts du groupe avant les leurs. Une grande valeur est généralement accordée à la coopération, à l’interdépendance, à la solidarité et au maintien de l'harmonie sociale.

Une culture individualiste, quant à elle, met l'accent sur l'importance de l'individu par rapport au groupe. Dans cette culture, l'identité et les actions des individus sont souvent déterminées par leurs propres choix, préférences et objectifs personnels plutôt que par les normes ou attentes de la communauté. Celle-ci valorise généralement l'autonomie, la liberté individuelle, l’expression de soi et la poursuite de réalisations personnelles. Chaque personne est invitée à exprimer son individualité. La recherche du bonheur et du succès est mise à l’honneur, même si c’est parfois aux dépens du groupe.

L’expression des émotions dans les différentes cultures

Les membres des cultures collectivistes ont tendance à ne pas montrer leurs émotions négatives en public afin de maintenir l'harmonie sociale. 

Par exemple, les Japonais sont enclins à masquer leurs émotions négatives en présence d'autres personnes, ce qui est attribuable à la norme culturelle de maintien de l'harmonie et d'évitement des conflits.

Les émotions positives, elles, sont souvent exprimées de manière modérée pour éviter de paraître trop personnel ou égocentrique.

On observe que les Chinois sont moins susceptibles d'exprimer publiquement leur joie par rapport aux Américains, reflétant ainsi une préférence pour la modestie et la réserve émotionnelle.

Au contraire, les cultures individualistes encouragent généralement l'extériorisation des émotions, qu'elles soient positives ou négatives. Les Américains expriment bien volontiers et ouvertement leurs émotions, même dans des situations sociales formelles.

Dans ces cultures, la démonstration émotionnelle est souvent considérée comme un moyen de communication authentique et de connexion interpersonnelle. Les Occidentaux ont tendance à partager ouvertement leurs sentiments intimes avec d'autres personnes, ce qui reflète une valorisation de l'authenticité émotionnelle et de la transparence.

Analyse transculturelle des émotions humaines

Les émotions sont une composante essentielle de l'expérience humaine, mais leur expression et leur perception varient considérablement d'une culture à une autre. Elles sont des phénomènes universels qui influencent notre cognition, notre comportement et notre bien-être.

Certaines émotions sont très largement observées dans le monde. Les principales sont : la joie, la tristesse, la colère, le dégoût et la surprise. Leurs manifestations variées sont le résultat de divers facteurs, notamment les normes, les valeurs, les traditions et les expériences sociales.

LA JOIE

La joie est un état émotionnel positif caractérisé par des sentiments de bonheur et de satisfaction. Elle est universellement reconnue. D’ailleurs, les expressions faciales de la joie sont largement similaires d’une culture à l’autre, suggérant une base biologique commune.

Les sociétés occidentales valorisent souvent l’affirmation marquée de la joie, qui passe par des sourires et des rires. Bien plus qu’une émotion positive, les Occidentaux la considèrent comme souhaitable et l’encouragent dans les relations sociales.

Les cultures asiatiques, telles que la Chine et le Japon, adoptent une approche plus réservée. Les Chinois et les Japonais révèlent leur joie avec pudeur, préférant la modération émotionnelle.

Dans de nombreuses cultures africaines, c’est souvent à travers le corps et les rituels communautaires que la joie est extériorisée. La danse, la musique et les célébrations collectives sont des moyens primordiaux de manifester la joie et de renforcer les liens sociaux.

LA TRISTESSE

La tristesse est une émotion associée à la perte, au chagrin ou à la déception. Elle est également largement observée à travers le monde.

Comprendre les différences culturelles dans la façon dont la tristesse est ressentie, exprimée et « gérée » est essentiel dans une vision holistique du bien-être.

Au Japon, la tristesse est souvent perçue comme une émotion privée et intime. Les Japonais sont plus enclins à vivre leur tristesse de manière discrète, en évitant les manifestations publiques.

En France, la tristesse est considérée comme une émotion légitime qu’il est acceptable d’extérioriser. Les Français ont tendance à valoriser l'authenticité émotionnelle, ce qui signifie qu'ils sont plus disposés à partager ouvertement leurs sentiments de tristesse avec leurs proches. Cette attitude ouverte envers la tristesse peut contribuer à une meilleure régulation émotionnelle et à des relations interpersonnelles plus solides.

En Chine, il y a une réticence à afficher ouvertement leur tristesse, par crainte de « perdre la face » ou de perturber les relations sociales.

Au Mexique, la tristesse est perçue comme faisant partie intégrante de la condition humaine. Les Mexicains ne cachent pas leur mal-être, considérant la tristesse comme une réaction naturelle aux défis de la vie. Cette attitude tolérante peut contribuer à un soutien social accru et à un meilleur équilibre psychologique.

LA PEUR

La peur est une réponse émotionnelle à une menace (réelle ou perçue). Elle est essentielle à la survie humaine. Les expressions faciales de la peur sont facilement reconnaissables dans diverses cultures, indiquant une fonction adaptative de cette émotion.

Les manifestations physiques de la peur peuvent varier selon la culture. Les Occidentaux décrivent souvent des sensations corporelles intenses comme des tremblements ou une douleur, tandis que les Asiatiques sont plus susceptibles de décrire des sensations de faiblesse ou de froid.

Cette émotion est souvent empreinte de croyances, de symboles et de superstitions. Au Japon, les masques de démons appelés « Oni » sont souvent utilisés lors de célébrations pour symboliser la peur et repousser les esprits malveillants. Dans certaines cultures amérindiennes, il existe des rituels de purification qui sont effectués pour apaiser les Esprits et éloigner les influences négatives. Ces rituels impliquent souvent l'utilisation de la fumée d'herbes sacrées, des chants et des danses spécifiques pour renforcer la connexion spirituelle et apaiser les peurs. Ces pratiques transmises de génération en génération jouent un rôle important dans la préservation de l'équilibre spirituel et émotionnel au sein de la communauté.

LA COLÈRE

La colère est une émotion intense associée à des sentiments d'irritation, de frustration ou encore d’injustice. Les déclencheurs de la colère peuvent varier en fonction du contexte culturel, mais les expressions faciales de colère sont largement similaires.

Les normes sociales et les valeurs culturelles jouent un rôle crucial dans la façon dont la colère est perçue et tolérée dans différentes sociétés. Les cultures individualistes ont tendance à valoriser l'expression de soi et à accepter plus facilement la manifestation ouverte de la colère, tandis que les cultures collectivistes privilégient souvent l'harmonie sociale et la gestion pacifique des conflits.

Certaines influences culturelles peuvent s’atténuer au fil du temps. Le fameux flegme britannique tomberait en désuétude. Les Anglais exprimeraient leur colère plus souvent que les Italiens, les Français et les Espagnols. Ces trois pays suivent quand même le Royaume-Uni de près, la culture méditerranéenne étant connue pour ses manifestations émotionnelles hautes en couleur.

Outre son expression, les pratiques culturelles influencent également la manière dont la colère est « gérée » et « régulée ». Dans certaines cultures, des pratiques telles que la méditation, la prière ou les rituels peuvent être utilisées pour apaiser la colère et restaurer l'équilibre émotionnel. Dans les cultures bouddhistes comme en Inde, au Tibet ou en Thaïlande, les méditations sur la compassion et la méditation analytique sont largement utilisées.

LE DÉGOÛT

Le dégoût est une réaction émotionnelle souvent liée à des stimuli répugnants ou menaçants pour la santé. Cette émotion est un phénomène complexe qui joue un rôle crucial dans la survie humaine en permettant d’éviter les substances toxiques ou potentiellement dangereuses.

La perception du dégoût peut être influencée par des facteurs sociaux, religieux ou environnementaux. Par exemple, certaines cultures seront plus dégoûtées par des éléments naturels (excréments, insectes), alors que d’autres ressentiront plus de dégoût pour des comportements sociaux inappropriés.

LA SURPRISE

La surprise est une émotion brève et intense en réponse à un événement inattendu.

Les déclencheurs de la surprise varient en fonction des normes culturelles et des valeurs spécifiques à chaque société. Les événements inattendus et les violations des attentes sociales seraient des déclencheurs de l’expression de surprise dans la culture occidentale et individualiste ; alors que dans les cultures collectivistes des émotions fortes proclamées publiquement pourraient déclencher une réaction de surprise.

La surprise peut aussi être une émotion précurseur. En Allemagne, elle est souvent associée à d’autres émotions telles que la peur ou l'anxiété, reflétant une sensibilité culturelle particulière à l'incertitude et à l'ambiguïté.

L’humain émotionnel

Malgré les différences contextuelles, les expressions faciales et les réponses émotionnelles de base demeurent souvent universelles, reflétant une composante biologique et sociale commune de l'expérience émotionnelle humaine.

La compréhension des différences culturelles dans la perception et l'expression des émotions revêt une importance primordiale pour le bien-être physique et psychologique tant individuellement que collectivement. La volonté de suppression des émotions négatives peut être associée à un risque accru de troubles psychologiques, tels que la dépression et l'anxiété, voire à des troubles physiques. Comme le dit Jacques Salomé : « Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime ».

Les normes sociales entourant l'expression des émotions peuvent également engendrer des émotions supplémentaires, pour ainsi dire, une émotion peut alors en cacher une autre. La peur ou la colère peuvent provoquer de la honte si elles sont manifestées trop vivement dans une culture collectiviste ; de même qu’une joie trop atténuée peut générer de la culpabilité, voire de la tristesse, dans une culture individualiste. Cela peut s’apparenter à une forme de « comorbidité » émotionnelle.

La résilience culturelle

La mondialisation a considérablement influencé la manière dont les émotions sont perçues et exprimées à travers le monde. L'omniprésence des médias sociaux et de la culture populaire occidentale a contribué à homogénéiser les normes émotionnelles dans de nombreuses régions du globe.

Cependant, la résistance aux influences culturelles externes reste forte. Même dans les sociétés fortement influencées par la mondialisation, les normes émotionnelles traditionnelles persistent, reflétant la résilience des identités culturelles face aux changements sociaux.

L'influence des langues sur les émotions

Les langues sont bien plus que de simples moyens de communication. Elles sont également des vecteurs de culture, de pensée et d'expression émotionnelle. Au fil des siècles, les chercheurs ont examiné la manière dont les langues influencent les émotions humaines, révélant des nuances subtiles, mais significatives dans la façon dont différents idiomes expriment et perçoivent des sentiments variés.

La linguistique des émotions est un champ d'études interdisciplinaire qui examine comment les langues façonnent et reflètent les expériences émotionnelles des locuteurs. Les différentes langues ont des vocabulaires émotionnels distincts, ce qui peut influencer la manière dont les individus expriment et interprètent les émotions.

Par exemple, le japonais possède plusieurs mots pour décrire des nuances de tristesse, comme kanashimi pour une tristesse profonde et setsunai pour une tristesse mélancolique.

De même, certaines langues africaines ont des mots spécifiques pour décrire des expériences émotionnelles uniques. En swahili, furaha signifie bonheur, joie et allégresse, tandis que huzuni exprime un mélange de tristesse, de chagrin et de deuil. Les émotions sont souvent exprimées à travers des métaphores riches en symbolisme. En yoruba, l'expression ọmọluabi est utilisée pour décrire une personne honorable et vertueuse, englobant un large éventail de valeurs morales et émotionnelles associées à cette notion.

Certaines langues intègrent des concepts émotionnels dans leur grammaire de manière unique. En japonais, le suffixe -teki est utilisé pour transformer un nom en adjectif, ajoutant une connotation émotionnelle à la description. Ainsi, yūgen-teki décrit quelque chose de beau, mystérieux et profond d’un point de vue émotionnel, tandis que genki-teki signifie énergique et plein de vitalité émotionnellement parlant.

Les langues exercent une influence profonde sur la façon dont les individus perçoivent, expriment et vivent les émotions. Les structures linguistiques et les contextes culturels façonnent ainsi notre compréhension des sentiments et de leurs ressentis. Saisir ces dynamiques peut enrichir notre appréciation des fabuleuses variétés linguistiques, culturelles et émotionnelles qui caractérisent notre monde.

La diversité culturelle se manifeste dans une multitude de perceptions et d'expressions émotionnelles, révélant la richesse de l'expérience humaine. Au carrefour des cultures, les émotions traversent les frontières, tissant des liens invisibles entre les peuples et révélant la quintessence de notre humanité commune.